Gabriel.
J’ai envie que rien ne s’arrête. J’ai envie de rester comme je suis pour toujours : je veux pouvoir m’apitoyer sur mon sort, pleurer et pleurer encore. Je veux pouvoir rester ce que je suis ; une fille malheureuse, qui peut geindre sur son sort. Je veux pouvoir fermer les yeux encore un petit instant, pouvoir me voiler le regard, pouvoir me dire que je suis obligée d’être une suiveuse. Et ce, le restant de mes jours. Alors qu’au fond … Rien n’est plus faux. Si je le veux, je peux être comme tous ceux qu’on admire. Si … Si je le veux, je peux être – devenir – comme Mary. Et arrêter d’être une fille fade, faible et sans caractère. Mais peut-on vraiment choisir son caractère ? Peut-on vraiment arrêter d’être ce que l’on est pour devenir ce que l’on voudrait être ? Impossible. Chassez le naturel, il revient au galop.
Mais … Elle devait bien avoir cela quelque part, au fond d’elle : sinon, comment expliquer son coup de gueule à la sauterie clandestine, quand elle avait balancé le brownie dans la gueule de Carter et son jus de pommes dans celle de River ? Cette détermination, cette rage et cette envie de tout exploser, d’être vue, d’être le centre de l’attention … Ca ne sortait pas de nulle part. Ce genre de choses, on ne peut l’inventer. Et puis de même ; si elle n’avait eu aucun caractère, serait-elle venue s’excuser devant tout le monde, au su et au vu de tous pour sa bêtise ? Non, bien sûr que non. Et puis au fond, ce que les autres pensaient … Mais qu’en avait-elle à foutre, merde ? Tout. Absolument tout. Bah ouais, mais ça, il faut que ça change. Ca ne peut pas rester indéfiniment comme cela : les autres ne sont pas acteurs de notre vie, ils la contemplent seulement du haut de leur fauteuil royal. Alors qu’elle, elle est dans l’arène ; et c’est à elle, et à elle seule de choisir et décider ce qu’elle allait faire de sa vie. Juste à elle. Et à personne d’autre. Ils avaient accepté ses excuses, et la prenaient pour une petite garce sans valeur, sans saveur, comme un papillon de nuit qui brûle lentement après s’être cogné contre la lampe. Ephémère. Inutile et inintéressant. Alors c’était comme cela que les autres la voyaient ?
Et bien … A leur guise, en fait. Ce qu’elle en avait à foutre, franchement ; de toute façon, quoi qu’elle fasse, Lysander avait bien raison : ils étaient de mauvaise volonté, et jamais n’essaieraient de bon gré de faire remonter Emmie dans leur estime. Alors oui, qu’en avait-elle vraiment à faire ? On ne peut pas changer l’avis extérieur des autres sur notre personne ; mais nous, on peut se remettre en question. Nous, on peut se changer, devenir quelqu’un de meilleur sur notre passé, sur notre vécu. Et après tout ce qu’elle avait fait, Emmie allait enfin se remettre en cause. Fini, de s’apitoyer sur soi. Fini, de geindre comme une fillette trop gâtée. Fini, de passer et de se faire passer pour la victime de service. Parce que ça, c’est vraiment quelque chose de méprisable, de minable. Et elle pouvait arrêter de l’être. Elle en avait les moyens, elle en avait les outils ! C’était possible ! Oh oui, elle n’aurait jamais l’amitié, l’estime ou la bienveillance de ceux qui lui en voulaient à vie, mais n’en avait cure. Qu’ils pensent ce qu’ils veulent, merde à la fin. Ca n’était pas eux qui allaient régir sa vie. Et puis après Poudlard, Emmie avait très peu de chances de les recroiser, et puis même, elle aurait grandi et aurait autre chose à penser que d’être constamment comme une bête épiée, toute recroquevillée sur elle-même, toujours à l’affût de la moindre parole qui pourrait être interprétée comme acerbe, cynique, sarcastique ou ironique à son égard. Fini. Elle allait arrêter de se monter la tête, de passer pour une gamine stupide de deuxième classe. Oh oui, fini. Et quoi que disent les autres, des vannes du genre « Ouh, la petite moucharde se rebelle, attention ! » ou autre, cette détermination nouvelle n’allait pas s’évaporer comme neige au soleil.
Ca allait être dur. Vraiment très dur. Mais elle allait tenir le coup. Elle pouvait, devait tenir le coup. Pour … Pour qui, en fait ? Pour personne. Juste pour elle, parce que ça valait le coup. Pour elle, pas pour les autres. On ne change pas pour les autres, et quand bien même on ne pourrait jamais plaire à tout le monde. Alors autant s’affirmer, relever la tête et assumer. Aha, mais que de belles paroles ! Serait-elle capable de les tenir, ces paroles ? On espère – non, on exige que oui ! Et rien d’autre. Là, elle avait finalement touché le fond : s’appuyer sur Maxime, s’obliger sans le savoir à l’aimer – ah bah oui, c’est con on sait – et finalement l’aimer pour de vrai … Et se prendre un splendide râteau en pleine gueule, oh oui. Enfin bref, de toute façon ça aurait été si improbable qu’il lui dise oui, presque risible en fait. Mais ça n’est pas Maxime dont il est question, à cet instant. Il n’était plus question de Maxime ou de quelqu’un d’autre. Juste d’elle. Bah ouais, autant être égoïste et égocentrique jusqu’au bout, une fois qu’on a commencé ! Encaisser, encaisser, encaisser, ça suffisait bien. Mais ta rengaine, ma belle, tu vas vraiment la tenir ? Et une fois que tu seras sortie de cette salle, elle va rester et durer, ou disparaître ? Ca, on ne le saura qu’à la fin. Mais on espère. On souhaite qu’elle reste, dure et s’enflamme. On le veut, on sait que c’est possible. Et maintenant, finit de se monter au créneau. Qu’allait-elle dire à Gabriel, finalement ? Lorsqu’elle lui avait écrit cette lettre, elle était au bout du rouleau. Proche de la crise de nerfs. Et maintenant que tout était résolu, qu’allait-elle lui dire ?! Hein, qu’allait-elle lui dire ?!
… Mais là, n’était-ce pas une sorte de crise de nerfs ? Un petit rire nerveux sortit de la gorge d’Emmie, semblable à un aboiement de chien. Oui, c’était une crise de nerfs. Gaby, tu payes combien pour faire le psy ? Parce que ta copine elle en a vraiment besoin, là. Sinon elle va craquer et qui sait ce qu’elle sera capable de faire ? Des larmes commencèrent à couler le long de son visage, sans qu’elle cherche à les essuyer. Larmes suivies par des sanglots. Elle était seule maintenant, totalement seule. Qu’allait-elle faire ? Que pouvait-elle faire ? Rien, absolument rien. Pathétique. Risible. Absolument risible. Depuis le début, tout le monde se foutait de sa gueule, se fichait totalement d’elle ou de ce qu’elle pouvait penser. Et puis .. Même si elle changeait, qu’allait-ce changer ? Rien, en fait. En y réfléchissant bien, on n’est princesse que lorsque ceux autour de nous nous en accordent le statut ; on peut tout aussi bien être princesse et devenir mânante, finir par vivre dans la rue, lorsque les autres tout autour de nous nous en donnent le statut. Sans eux, elle n’était rien ; absolument rien. Et c’était horrible, de s’en rendre compte. De se dire que finalement, quoi que l'on fasse, quoi que l'on dise, chacun reste ce qu'il est. Emmie avait peur. Angoisse grandissante. Angoisse flagrante. Peur de ne jamais pouvoir changer ; peur de devoir rester à tout jamais ce que les autres avaient décidé pour elle. Une pauvre fille inutile, sans ambition, sans caractère. Aussi futile, aussi risible que l'un de ces papillons qui grille sur l'ampoule d'une lampe, et dont tout le monde n'a cure. Ca fait mal, hein ? Ca fait mal, de se rendre compte à quel point l'on peut se monter la tête, pour finalement ... Rien. Parce que c'est ce qu'elle avait fait, en fin de compte. Elle s'était juste montée en créneau seule, et d'une manière risible et ridicule au possible. On ne change pas - on ne peut pas changer en quelques minutes ! Impossible, tout simplement impossible. Et elle avait cru pouvoir y arriver, pouvoir le faire. Belle désillusion.
Le contenu de sa lettre s'afficha dans sa tête. Qu'allait-elle pouvoir lui dire, maintenant ? Qu'elle avait peur ? Qu'elle était stupide, et que rien ne pourrait en changer ? Que tout le monde allait continuer à vivre, même si elle n'était plus là ? Même si elle essayait de s’illusionner en se faisant passer pour ce qu'elle n'était pas ? Impossible. Impossible. En vérité, pour tout dire ... Emmie espérait qu'il ne viendrait pas. Qu'elle pourrait repartir de cet endroit en se disant « ça n’est qu’un rêve ; j’ai encore songé, rien de ceci n’est arrivé. », en s'illusionnant. Encore et toujours.