Avec un soupir brusque et expressif, Charlie referma son livre. Toutes ces bestioles dans sa boutique, elle avait beau les aimer de toutes ses forces, elles en demandaient toujours plus. Alors qu'elle se remettait enfin à lire, pas moyen de finir une phrase sans entendre un piaillement impatient ou un grognement mécontent. C'était tous ses petits chéris, ses bébés, elle avait toujours eu une facilité déconcertante avec eux, mais là ils dépassaient les bornes. C'était justement parce qu'elle n'avait pas une minute à elle qu'elle avait sorti un livre, alors laissez-la au moins vivre sa vie, que diable! La pauvre animalière se rendit compte avec une pointe d'exaspération qu'elle avait oublié de mettre le marque page. Elle rouvrit le livre, glissa une photo qui lui venait sous la main entre les pages, et referma l'ouvrage. Elle en contempla quelques secondes la couverture. Le Meilleur des Mondes, d'Aldous Huxley. Un vieux livre de moldus que son frère lui avait envoyé. Un magnifique ouvrage cependant. Il amenait la jeune femme à réfléchir, et c'était précisément ce qu'elle attendait des bons livres. Elle avait deja certes beaucoup de points de vue sur tout ce qui concernait la nature humaine et sa relation avec la nature, mais là c'était différent, elle appréhendait les choses sous un autre angle, et...

Un cri impatient se fit à nouveau entendre. Charlie poussa un petit cri d'agacement, attrapa une croquette de miamhibou et la jeta sur l'oiseau qui l'énervait. Celui-ci avait d'excellents réflexes, elle le savait, et il attrapa avec un piaillement de satisfaction le petit échantillon de nourriture. Mais à voir la manière dont il gonfla ses plumes et dont il tourna le dos à l'ancienne Serpentard, il avait compris son mécontentement. Et maintenant il boudait. Allons donc, un hibou exigeant, boudeur et rancunier! Heureusement qu'il était intelligent et malin, sinon il n'aurait pas eu grand chose pour lui hormis son physique majestueux. Charlie leva les yeux au ciel. Elle attrapa une nouvelle croquette qu'elle lança de nouveau sur l'oiseau. Celui-ci n'avait pas de paire d'yeux dans le dos, il ne la vit pas venir, et PAF! La nourriture cogna les barrières de la cage, le faisant sursauter. Il eut un froissement d'ailes mécontent, et ne prêta pas plus attention à sa maitresse. Celle-ci eut un léger rire. Elle posa son livre sur le comptoir, ne prêtant pas attention à le ranger. À cette heure tardive de l'après-midi, il n'y avait presque plus de clients, et si l'un d'eux trouvait quelque chose à redire sur ce livre de moldus, elle pourrait lui tenir un discours suffisamment construit et argumenté pour contrer ou bien appuyer ce que l'autre disait. Elle détestait ne pas avoir de culture ou de connaissances en poche pour se lancer dans un débat, mais à partir du moment où elle en avait on ne l'empêcherait pas de donner son avis, ça non! Liberté d'expression quoi!

La jeune femme passa le rideau qui conduisait à l'arrière boutique et le referma derrière elle. Oui, elle laissait le tout sans surveillance. Elle avait confiance en la plupart des gens, mais surtout en ses animaux, qui n'avaient pas la même faculté que l'être humain à être hypocrites. Ainsi, elle serait prévenue par l'un d'entre eux en cas de problème, elle le savait. Qu'avait-elle bien donc à faire de si préoccupant dans l'arrière boutique? Quelques petites bestioles sympas à s'occuper. Des trucs pas trop légaux, pas vraiment autorisés dans une communauté hygiénique saine d'esprit. Bon, ok, notre sorcière avait en sa possession bien trop de créatures dangereuses et d'expériences ratées des laboratoires, mais elle avait aussi des tas de petits trucs sympas. Que les gens qui la connaissaient bien pouvaient se permettre de lui demander. Et s'ils ne la connaissaient pas, quelques cadeaux leurs donnaient envie de revenir, et après ils la connaissaient bien et pouvaient demander... A condition qu'elle ait confiance en eux. Enfin bon, elle avait tout de même en sa possession quelques trouvailles assez dangereuses, qu'il n'était pas question de montrer ou de partager, encore moins d'offrir... Charlie poussa le voile qui recouvrait une petit cage cubique et inspecta son contenu avec un sourire jusqu'aux oreilles. C'était vraiment la créature la plus mignonne qu'elle avait eu le loisir de voir. Un mini dragon! Ouais bon voilà, ça c'était pas légal. Mais alors qu'est-ce que les gens aimaient ça! Non, ce n'était pas normal. Ces dragons étaient miniaturisés. En général, à cause d'un sortilège. S'il s'avérait qu'ils se plaisaient comme ça, l'animalière s'arrangeait pour que le sortilège soit très difficile à briser et les gardait, elle adorait les mini-dragons. Sinon, elle les envoyait à Bill et Charlie (un autre xD) Weasley en Roumanie pour qu'ils leur redonnent leur taille normale, et qu'ils puissent vivre normalement avec les autres dragons. Ah oui, et avant d'en garder, elle s'arrangeait pour recueillir l'avis d'un des deux professionnels sur la santé et le caractère - ainsi que tous les critères utiles - de la bête, voir si elle ne commettait pas une bêtise...

Elle ouvrit la grille de la petite cage, et le petit Opaloeil des Antipodes sortit de la boite en métal pour se loger dans sa main avec un petit cri. Il était le seul avec lequel elle ne mettait pas de gants. Elle l'aimait tellement qu'elle lui vouait une confiance aveugle, et le lui montrait comme ça. Grossière erreur, mais la seule naïveté de Charlie se situait envers ses animaux chéris, que voulez-vous... Le bruit de la clochette d'entrée résonna soudain dans l'arrière boutique. La jeune femme retourna avec empressement derrière son comptoir. Dans son empressement, elle en oublia de reposer son petit chéri. Avant que la personne qui venait d'entrer n'ait pu voir le petit dragon, elle le fourra dans une cage qui trainait dans l'arrière du comptoir, cachée, et elle ferma la grille d'un geste souple. Elle sourit par la suite en reconnaissant l'homme qui était entré. Irvin! Mais que faisait-il là? C'était devenu une habitude pour lui, semblait-il, de venir la voir dans sa boutique. Était-il si amoureux des animaux ou cachait-il autre chose? La jeune femme ne le connaissait pas tant que ça, mais avec toutes ses visites, il allait finir par devenir son meilleur ami... Ou presque.

" Et bien, je vais finir par croire que tu ne peux plus te passer de regarder les animaux! Y en aurait-il un qui t'aurait tapé dans l'oeil? "

Miss Black se mit à rire. Elle plaisantait bien évidemment. Mais depuis quelques visites, elle avait envie de donner l'un de ses animaux à cet étrange homme. Un cadeau. Une preuve d'amitié.
Sortant de derrière son bar en bois, elle sourit et croisa les bras, s'adossant au comptoir. Elle jeta un rapide regard à son hibou boudeur avant de reporter son attention sur Irvin. Hibou boudeur qui boudait toujours, d'autant plus que maintenant il n'avait de loin plus la vedette. Mais quels caprices de diva, je vous jure...

Charlie appréciait la présence d'Irvin. Elle ne le connaissait pas plus que ça, et sa réputation de journaliste froid le précédait, mais elle avait appris il y a bien longtemps qu'on ne juge pas les gens sur leurs apparences sans les connaitre. Son objectif avait donc été de ne pas se laisser envahir par la première impression. Entreprise réussie, dans le plus grand naturel dont elle était possible. Chaleureuse et ouverte, il ne lui était pas très difficile de se faire apprécier. Ceux qui la détestaient étaient en général ceux qui n'aimaient pas son hyperactivité et son besoin de toujours s'occuper. Ils étaient peu nombreux. En effet, la Black avait l'art de laisser le virus du sourire se propager, et la plupart des gens sombres et renfermés se laissaient guider par sa joie naturelle et ils leur arrivaient de voir leur journée illuminée par quelques blagues, quelques sourires, et un sentiment positif aveugle manifestée à leur égard, même par une personne qu'ils connaissaient aussi peu. C'était peut-être bien le cas d'Irvin, nul n'aurait pu l'assurer, pas même Charlie qui se rendait parfois difficilement compte d'à quel point les gens pouvaient être heureux de trouver un peu de réconfort dans sa boutique, pleine d'animaux ou pas.

Irvin Raven était froid et peu bavard. Avec elle, il ne perdait pas son côté taciturne, mais la présence de notre petite sorcière semblait être bienfaitrice et lui apporter un peu d'apaisement. Miss Black avait un sixième sens assez confortable et pratique pour elle. Celui de sentir, comme les animaux le faisaient, les sentiments des gens qui pénétraient sa boutique. Peut-être était-ce dû au fait qu'elle était entourée toute la journée de bêtes à l'instinct bien plus élevé que celui des humains, elle n'en savait rien. Mais toujours est-il qu'à chaque fois ou presque, elle sentait Irvin tendu et nerveux, froid et peu enclin à la conversation avec quelqu'un d'autre que ses amis proches. Il n'avait pourtant pas l'air d'apprécier plus que ça les animaux, et d'ailleurs son comportement vis à vis d'eux était plutôt hésitant, comme s'il n'en avait jamais eu. Mais elle s'en fichait pas mal. Lorsqu'il éluda sa question - qui était d'ailleurs plus une question rhétorique qu'autre chose puisqu'elle n'avait pas attendu de réelle réponse sur le sujet abordé - et qu'il avait simplement déclaré qu'ici il faisait chaud et qu'il était bien, elle sourit. Il avait posé son chapeau sur le comptoir, l'air naturel. L'air installé. Mieux valait ça plutôt qu'il ne reste planté comme un poireau à s'enraciner à l'entrée de la boutique sans oser bouger. Au moins il était familier. Il fallait dire qu'elle le voyait de plus en plus souvent. Chaque fois, il venait, ne parlait pas beaucoup, la regarder avoir affaire avec ses clients, puis repartait. Ils discutaient de temps en temps, et elle savait donc qu'il n'avait pas les mêmes points de vue qu'elle sur la société. Bien plus pro-mangemort qu'elle, ils évitaient donc de parler politique. Même si le peu de fois où ils l'avaient fait, elle avait réussi à manier le sujet avec tant d'efficacité et de finesse qu'ils ne s'étaient pas disputés. Elle ne savait pas jusqu'où tenait le sang froid du journaliste et préférait ne pas le tester.

" Il fait plus chaud chez le botaniste d'à côté, mais je conçois très bien que la chaleur là-bas soit difficilement vivable. "

Elle eut de nouveau un léger rire, son sourire jusqu'aux oreilles. Le botaniste d'à côté vendait des plantes tropicales, et la chaleur dans la boutique était en effet difficilement vivable. Intense et étouffante, chaque fois que Charlie y entrait elle avait de ces bouffées de chaleur qui la persuadaient de ressortir le plus vite possible.

" Les animaux ont besoin d'une température agréable et confortable. Et l'être humain est un animal comme un autre, il a donc également besoin de chaleur et de confort. "

Ce n'était pas des paroles misanthrope, simplement un fait réel et avéré par les scientifiques. Charlie reporta son regard sur le hibou capricieux. Il piaillait, impatient et mécontent. Jaloux aussi apparemment. Il cognait son bec contre sa cage, produisant un vacarme ahurissant et agaçant. La petite Black avait envie de le faire sortir et de le prendre sur son bras pour le calmer et le caresser. Mais elle ignorait si Irvin était à l'aise avec les oiseaux ou non. Après réflexion elle s'approcha de la cage et passa sa main entre les barreaux pour caresser l'oiseau. Dans un violent accès de fierté et de jalousie, il lui mordit les doigts. Elle poussa un léger cri et ôta sa main de la cage. Cet oiseau avait le pire caractère qu'elle avait jamais vu. Son doigt saignait légèrement. Elle grogna et tapa sur les barreaux. Le choc produisit une vibration du métal qui fit trembler la cellule et son accueillant. Celui-ci poussa un cri strident, tandis qu'elle retournait à côté d'Irvin en léchant rapidement le sang qui s'échappait de la plaie. Sa baguette était restée dans l'arrière boutique lorsqu'elle avait pris le petit dragon qui attendait toujours sagement à l'intérieur du comptoir.

" J'espère pour vous que votre hibou est moins désagréable que celui-ci. "